Réflexions sur la Journée de l’Afrique : Au-delà de la Célébration

Read the English version here

Le 25 mai de chaque année, la Journée de l’Afrique est commémorée diversement sur le continent et dans la diaspora. Je voudrais partager quelques réflexions sur l’importance de cette journée qui doit être un moment de réflexion et de réengagement pour l’Afrique.

Le 25 mai 1963, la première organisation intergouvernementale continentale africaine est créée, faisant suite à l’indépendance de la majorité des pays du continent. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), mère de l’actuelle Union africaine (UA), est née avec l’adoption de sa Charte à Addis-Abeba, en Éthiopie, lors d’une conférence diplomatique organisée par l’empereur éthiopien de l’époque, Haile Selassie.

La Journée de l’Afrique ne doit pas être confondue avec la Journée de l’Union africaine (Journée de l’UA), commémorée le 9 septembre de chaque année, marquant le jour où l’Assemblée des chefs d’État a décidé de transformer l’OUA en UA à Syrte, en Libye, le 9/9/ 99.

L’OUA a été fondée par 32 pays. Plus tard, 23 autres nations ont progressivement rejoint le groupe au fil des ans. L’OUA était un engagement sans précédent avec pour aspiration la libération politique totale de l’Afrique du colonialisme, l’unité et la solidarité entre ses peuples. Alors que les principaux objectifs de l’OUA étaient de débarrasser le continent des derniers vestiges de la colonisation et de l’apartheid ainsi que de promouvoir l’unité et la solidarité entre les États africains, la nouvelle Union africaine visait « une Afrique intégrée, prospère et pacifique, conduite par ses citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale.

La transformation de l’OUA en UA a créé l’espoir pour une plus grande unité et solidarité des pays africains et entre les peuples africains. La volonté de construire une institution centrée sur les citoyens est la principale caractéristique distinctive entre l’Union africaine et l’ancienne Organisation de l’unité africaine, qui était exclusivement axée sur les États.

Au-delà de la Célébration

Premièrement, il est important que la Journée de l’Afrique soit commémorée dans tous les pays africains et dans toute la diaspora. Ce devrait être un jour où nous racontons l’histoire de l’Afrique à nos jeunes générations. L’histoires de nos gloires passées mais aussi les fondements d’un avenir plus radieux… La Journée de l’Afrique doit aussi être une journée de réengagement envers nos Valeurs Partagées et nos Agendas communs : l’Agenda 2063 et ‘Agenda 2030; les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies dont nous faisons pleinement partie. L’UA a un ensemble de valeurs partagées centrées sur la démocratie et la bonne gouvernance, l’État de droit et les droits de l’homme, la paix et la sécurité, ainsi que le développement et l’intégration du continent. La Journée de l’Afrique doit être une journée d’une solidarité africaine renouvelée. Elle doit nous rappeler qu’une partie importante de notre continent est encore, malheureusement dévastée par les conflits injustifiables. Cette journée doit renforcer notre détermination à lutter contre l’extrême pauvreté et toutes les sortes d’inégalités et de discriminations en Afrique.

J’ai encore en mémoire le Sommet de Lomé en 2000, lors de l’adoption du nouvel Acte constitutif de l’UA. Responsable de la Formation Civique à Radio Nationale du Togo, Radio Lomé, j’ai diffusé une émission radio intitulée « de l’OUA des Chefs d’Etat à l’UA des Citoyens » à mes 2 millions d’auditeurs. Je me souviens de l’enthousiasme et du grand espoir des citoyens africains de faire partie d’une nouvelle organisation continentale qui visait à ouvrir la voie à une démocratie plus forte, à la sécurité humaine, à la prospérité et au développement.

Depuis sa création, l’Union africaine a élevé la barre normative des ambitions de développement socio-économique et démocratique du continent. Mais l’adoption de normes, de traités, de cadres politiques ne suffit pas pour nous mener vers « l’Afrique que nous voulons ». Nous devons tenir nos promesses en mettant effectivement en œuvre ces instruments et en nous tenant régulièrement mutuellement responsables. Il est temps de combler le fossé entre les promesses et la réalité quotidienne de la plupart des citoyens.

Comment va notre Union Aujourd’hui ?

Les citoyens ont-ils véritablement la possibilité de participer pleinement aux processus de prise de décision de l’Union ? Mettons-nous en œuvre les principes fondamentaux qui visent à garantir une Afrique démocratique, le respect des droits de l’homme et des peuples, et à libérer le potentiel du développement ? Gérons-nous nos ressources naturelles de manière responsable au profit du continent et de ses filles et fils ? Comment préparons-nous notre jeune population à prendre la relève ? Exploitons-nous notre dividende démographique comme promis dans la feuille de route adoptée ? Respectons-nous nos valeurs communes ? Dans quelle mesure les réponses des organes intergouvernementaux en Afrique à la question des changements anticonstitutionnels de gouvernement ou des coups d’État qui se produisent encore sur notre continent sont-elles cohérentes ?

Entre 2014 et 2021, plus de 20.000 Africains sont morts ou portés disparu en mer Méditerranée en tentant de fuir notre continent. Beaucoup d’autres sont morts dans le désert du Sahara avant même d’atteindre la mer. Pourquoi quittent-ils le continent ?

34 des 54 pays africains sont étiquetés comme « pays les moins avancés », alors que dans le même temps, des milliards de dollars sortent illégalement du continent par le biais de flux financiers illicites (FFI) Selon le rapport Thabo Mbeki.

L’Afrique possèderait plus de 90 % des ressources mondiales en chrome, 85 % de sa platine, 70 % de sa tantalite, 68 % de son cobalt, 54 % de son or, ainsi que d’importantes réserves de pétrole et de gaz. Le continent abrite également des gisements d’uranium, de manganèse, de diamants, de phosphate et de bauxite en très grandes quantités. Il a du bois et d’autres ressources forestières ajoutées à ses vastes terres arables pour l’agriculture.

Nous devons réfléchir aux nombreuses questions posées par nos peuples aujourd’hui : Sommes-nous vraiment et véritablement passés de l’OUA à l’UA ? Ou sommes-nous juste en train de tourner autour de vieilles pratiques ? Pourquoi 60 % ou plus du budget de l’Union africaine sont-ils encore payés par des donateurs externes ? Quelles sont les implications d’un tel fait sur l’intégrité et l’efficacité de notre Union?

Comment avancer vers l’Afrique que nous voulons ?

Nous devons créer un environnement propice au développement. L’état de droit, la démocratie et les idéaux de bonne gouvernance sont essentiels pour établir la paix et la sécurité sur le continent. Nous avons promis de faire taire les armes en Afrique à l’horizon 2020, mais nous ne l’avons pas fait et avons reporté l’échéance à 2030. Nous échouons parce que nous faisons les mêmes choses, en utilisant la même approche tout en expectant un résultat différent.

Tirer profit du dividende démographique: Prioriser l’emploi, l’éducation, le développement des compétences ainsi que la santé des jeunes : La structure par âge de notre population a des impacts importants sur notre développement économique. Le « dividende démographique » fait référence aux avantages économiques découlant d’une augmentation significative du nombre d’adultes en âge de travailler par rapport à ceux qui sont dépendants. Ces adultes en âge de travailler doivent être en bonne santé, éduqués, formés, qualifiés et avoir des emplois décents. Avoir une population jeune ne suffit pas pour catalyser le développement et la prospérité. Tous les pays africains devraient mettre en œuvre efficacement la feuille de route de l’UA sur le dividende démographique en Afrique. Voyons les différents groupes extrémistes/terroristes qui opèrent sur le continent, pourquoi est-il si facile pour eux de recruter des jeunes pour mener ces guerres folles ? Si ces jeunes travaillaient dans leurs banques, dans leurs ateliers ou dans leurs fermes, s’ils étudiaient ou enseignaient dans leurs universités ou encore travaillaient dans leurs hôpitaux, suivraient-ils des groupes terroristes ?

Conflits : Au-delà des solutions militaires : L’UA elle-même a identifié 21 conflits actuels dans les 55 pays qui composent l’Union. Les causes profondes de la plupart des conflits en Afrique se trouvent dans l’extrême pauvreté, les inégalités structurelles profondes, la discrimination, le sous-développement, le partage inéquitable des ressources naturelles, la répression politique, la mauvaise gestion de notre diversité et le changement climatique.

Les opérations militaires à elles seules n’apporteront pas la paix en Afrique. Nous devons accorder la priorité à la résolution de la crise de gouvernance, promouvoir un dialogue inclusif, fournir des services sociaux et stimuler le développement. Les interventions militaires ne doivent être qu’au service de cette approche. Les jeunes principalement utilisés par les chefs de guerre sont vulnérables car ils n’ont rien à perdre.

Lors de ses sessions extraordinaires au cours des dernières années, j’ai fait des propositions au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine sur la manière dont nous pouvons faire taire les armes et garantir la paix sur le continent. Lisez les ici.

Sécurité alimentaire: le signal d’alarme pour l’Afrique : Le paradoxe embarrassant à ce sujet est que malgré la possession de 60 % des terres fertiles du monde, l’Afrique reste un importateur majeur de nourriture, dépensant 35 milliards de dollars par an en importations alimentaires. La guerre en Ukraine coupe certains approvisionnements du continent, donc si rien n’est fait, des millions d’Africains risquent de sombrer dans l’extrême pauvreté et la malnutrition. L’implication directe de la hausse des prix des denrées alimentaires sera que moins de ménages africains pourront s’offrir des repas quotidiens décents. Les ménages en situation d’insécurité alimentaire sur le continent seront beaucoup plus laissés pour compte. Les taux de consommation chuteront, l’épargne s’épuisera, la dette augmentera et les actifs seront liquidés, et tout cela risque d’accroître l’instabilité sur le continent. Nous avons beaucoup de terres en Afrique, mais la plupart des agriculteurs utilisent encore des instruments rudimentaires . L’industrie agro-alimentaire est peu développée en Afrique et se caractérise principalement par la transformation à petite échelle des produits agricoles, qui est assurée par de petites unités aux capacités très limitées.

Le thème annuel choisi en janvier de cette année par l’Union africaine pour ses discussions politiques est le « renforcement de la résilience en matière de nutrition et de sécurité alimentaire sur le continent africain ». La Banque africaine de développement (BAD) a une stratégie pour la transformation de l’agriculture en Afrique dans le cadre de son High5.

Au cours de sa réunion annuelle en cours à Accra, au Ghana, la BAD lance une facilité de 1,5 milliard de dollars pour financer l’achat de nourriture pour les gouvernements à court de liquidités alors que les prix augmentent rapidement. Il est urgent de donner la priorité aux investissements dans l’agriculture dès maintenant aux niveaux national et régional. Il est temps que l’Afrique se nourrisse. Il n’y a aucune raison pour que l’Afrique, disposant de 65 % des terres arables non cultivées demeure une région importatrice nette de produits alimentaires.

Arrêter les flux illicites des capitaux : Chaque année, 89 milliards de dollars quittent le continent africain sous forme de flux financiers illicites, selon un rapport de la CNUCED sur le développement économique en Afrique. Il s’agit de mouvements d’argent et d’actifs dont la source, le transfert ou l’utilisation sont illégaux. Cela comprend les capitaux illicites qui sortent du continent, les pratiques fiscales et commerciales telles que la mauvaise facturation des expéditions commerciales et les activités criminelles telles que les marchés illégaux, la corruption ou le détournement. Le fait choquant est que les milliards perdus chaque année à cause de ces flux illicites sont presque égaux à l’aide publique au développement (APD) et aux investissements directs étrangers (IDE) combinés. La lutte contre les flux illicites nécessite une coopération internationale et des actions à la fois sur le continent et à l’extérieur.

Mandaté par l’Union africaine et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, un groupe de haut niveau dirigé par le président Thabo Mbeki a formulé des recommandations pratiques pour lutter contre ces flux illicites. Nous devons revenir sur ces recommandations, les mettre pleinement en œuvre et dégager des ressources substantielles pour financer nos plans de développement, sinon, notre voyage vers 2030 et 2063 restera un rêve.

Je vous souhaite tous une bonne Journée de l’Afrique

Nkosi Sikelel’ iAfrika !

Que Dieu bénisse l’Afrique !

Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus sur ce site ou directement sur mon adresse mail : Desire.Assogbavi@assodesire.com ou Assogbavi@me.com

Si vous souhaitez continuer à recevoir mes articles, suivez ce blog en bas à gauche de cette page.

One thought on “Réflexions sur la Journée de l’Afrique : Au-delà de la Célébration

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Twitter picture

You are commenting using your Twitter account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s