La CEDEAO à 50 ans : Mythes, Réalités et Perspectives d’Avenir

Par: Chukwuemeka B. Eze, Désiré Assogbavi et Malick Fall.

Le 28 mai prochain CEDEAO fêtera ses 50 ans d’existence. Au cours de ses cinq décennies, à côté de ses avancées visibles, le bloc sous-régional a fait face à des défis pour institutionnaliser les valeurs démocratiques, l’intégration et le développement.

Avec deux de mes collègues nous venons de publier une réflexion sur les mythes et réalités animant le fonctionnement de notre regroupement régional avec des recommandations pour l’améliorer.


La version publiée en Anglais est ici 👉🏿 https://earlyreportnews.com/ecowas-50-the-mythology-reality-and-future-prospects-by-chukwuemeka-b-eze-desire-assogbavi-and-malick-fall/

Bonne lecture !

1. Contexte

Le 28 mai 2025, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) célébrera son 50ᵉ anniversaire. Depuis cinq décennies, la CEDEAO a relevé des défis complexes tout en institutionnalisant des valeurs démocratiques, en favorisant l’intégration régionale et en promouvant le développement économique.

Malgré de nombreux obstacles, elle s’est imposée comme une force régionale majeure en Afrique et sur la scène internationale.

Les experts reconnaissent que la CEDEAO a dépassé les attentes de ses pères fondateurs. Avec un PIB combiné de 630 milliards de dollars, l’organisation est aujourd’hui la 21ᵉ économie mondiale. Elle ambitionne une région sans frontières où les citoyens bénéficient de la libre circulation, d’un meilleur accès aux ressources, à l’éducation et aux soins de santé, ainsi que d’opportunités économiques dans un environnement pacifique et sécurisé.

Damtien Tchintchibidja, vice-présidente de la Commission de la CEDEAO, a souligné les progrès réalisés dans la distribution d’énergie, la sécurité alimentaire et le développement du capital humain. En outre, la CEDEAO s’est activement engagée dans la lutte contre l’extrémisme violent et la criminalité transnationale, affirmant ainsi son engagement en faveur de la stabilité régionale.

Le Dr Mohamed Ibn Chambas a mis en avant la force de la CEDEAO en tant qu’organisation supranationale, soulignant l’importance du respect de ses protocoles, notamment ceux relatifs à la libre circulation des personnes et des biens ainsi qu’à la gouvernance démocratique. De son côté, l’ambassadeur Musa Fatau a insisté sur le fait que la coopération multilatérale au sein de la CEDEAO reste essentielle à la croissance économique des États membres. Toutefois, des défis tels que les barrières commerciales, la corruption et l’inefficacité des contrôles frontaliers continuent de limiter le plein potentiel de l’organisation.

2. Réalités actuelles

Bien que la CEDEAO ait accompli des avancées notables, elle est encore confrontée à des problèmes structurels tels que la pauvreté, la corruption et les lacunes en matière de gouvernance. La fragilité des institutions étatiques, les tensions ethniques et la marginalisation ont alimenté des conflits et de l’instabilité. De plus, la CEDEAO fait face à des menaces transnationales, notamment le terrorisme, les crimes organisés, les pandémies et les impacts du changement climatique, rendant l’intégration régionale et les efforts de sécurité encore plus complexes.

Malgré une période de relative stabilité, les récents coups d’État au Mali, en Guinée, au Niger et au Burkina Faso ont ravivé les inquiétudes quant à un recul démocratique. Dans certains cas, le soutien populaire aux juntes militaires traduit une profonde frustration face à l’inefficacité des systèmes démocratiques et à la mauvaise gouvernance.

Face aux crises récentes, la CEDEAO a adopté des mesures diplomatiques et économiques strictes. Cependant, la suspension puis le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger après la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) soulignent la nécessité d’améliorer les stratégies de résolution des conflits.

3. Entre mythes et réalités

La CEDEAO est souvent perçue comme fortement influencée par des acteurs extérieurs tels que la France, l’Union européenne et les institutions financières internationales. Cette dépendance alimente des craintes que l’organisation privilégie les intérêts étrangers au détriment de ceux de ses États membres et de ses populations. En outre, l’exigence de consensus dans la prise de décisions entraîne souvent des retards dans la mise en œuvre de ces decisions et/ou les affaiblit, comme en témoigne le report de la mise en place de la monnaie unique ECO ainsi que les réformes institutionnelles non abouties.

Le système d’alerte précoce de la CEDEAO, conçu pour détecter et répondre aux menaces en amont, a montré ses limites dans la prévention des crises. De plus, si l’organisation s’est distinguée dans le maintien de la paix, les investissements dans la consolidation de la paix et la reconstruction post-conflit restent insuffisants.

La primauté accordée par certains États membres à leur souveraineté nationale sur leurs engagements régionaux continue de freiner la mise en œuvre des protocoles et accords de la CEDEAO. Cette tension affaiblit sa capacité à prendre des décisions efficaces en matière de sécurité, d’économie et de gouvernance démocratique.

 4. Recommandations pour l’avenir

 Pour concrétiser sa vision d’une Afrique de l’Ouest prospère et stable, la CEDEAO doit :

• Améliorer sa réponse aux crises : renforcer les liens entre les systèmes d’alerte précoce et les mécanismes de gestion des crises afin de s’assurer des interventions rapides et efficaces.

• Renforcer la diplomatie stratégique : développer des stratégies diplomatiques plus efficaces pour gérer les relations avec les régimes militaires et une meilleure médiation lors des crises politiques.

• Consolider la gouvernance et la démocratie : mettre en place des mesures plus strictes contre le phénomène du « 3ème mandat » (tentatives de prolongation des mandats présidentiels) et renforcer les institutions électorales pour garantir des élections libres et crédibles.

• Investir dans la consolidation de la paix et la reconstruction : privilégier la consolidation de la paix plutôt que le simple maintien de la paix, en s’attaquant aux causes profondes des conflits et en garantissant une stabilité durable.

• Renforcer l’engagement de la société civile : approfondir les partenariats avec les organisations de la société civile, les mouvements à la base et les acteurs locaux pour promouvoir un développement régional inclusif.

• Réformer les partenariats avec les acteurs extérieurs : redéfinir les cadres de coopération avec l’UA, l’ONU, l’UE et d’autres partenaires pour assurer un respect mutuel, un alignement stratégique et une meilleure coordination.

• Créer une force de défense régionale : développer un cadre de sécurité cohérent, inspiré du modèle de l’OTAN, pour mieux répondre aux menaces régionales et renforcer la stabilité.

• Accélérer l’intégration économique : accélérer la mise en place de la monnaie unique ECO en veillant au respect des critères de convergence, tels que le maintien de l’inflation en dessous de 10 % et d’un ratio dette/PIB inférieur à 70 %.

• Renforcer les capacités financières et institutionnelles : consolider les ressources financières et le cadre de gouvernance de la CEDEAO pour améliorer son efficacité et attirer les investissements.

5. Conclusion

Le 50ᵉ anniversaire de la CEDEAO constitue une occasion unique de faire le bilan des réalisations passées, de relever les défis persistants et de définir une trajectoire stratégique pour l’avenir. En renforçant la collaboration entre les gouvernements, la société civile et les acteurs régionaux, la CEDEAO peut concrétiser son ambition de bâtir une communauté ouest-africaine stable, prospère et inclusive. La mise en œuvre de réformes axées sur la gouvernance démocratique, l’intégration économique et la sécurité régionale garantira que la CEDEAO demeure un acteur puissant pour la paix et le développement dans les décennies à venir.