Le Royaume du Maroc a présenté officiellement une demande d’adhésion à l’Acte Constitutif de l’Union Africaine pour «redevenir» membre de l’Union. La demande a également été remise au Président de la Commission de l’UA, Dr Dlamini-Zuma par le conseiller du Roi Mohammed VI aux Affaires étrangères, Taieb Fassi Fihri, le 22 Septembre 2016, lors d’une réunion tenue en marge de la 71e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York.
S’il est géré de bonne foi et en respectant les principes de base de l’Union Africaine, le retour du Maroc à l’Union Africaine pourrait avoir de nombreuses répercussions positives pour l’UA et potentiellement faciliter la résolution du conflit du Sahara Occidental. Dans le cas contraire, cette évolution comporte tous les risques de dangereusement diviser l’Union Africaine.
J’aimerais partager ici mes opinions personnelles sur certaines des implications de ce «retour». Voir la version en Anglais de l’article ici: http://wp.me/p4ywYV-bh
En juin et juillet 2016, le Maroc a entrepris une campagne diplomatique en prélude au Sommet de l’Union Africaine. Des émissaires marocains ont visité le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, la Zambie, le Cameroun, l’Ethiopie, l’Egypte, le Soudan, le Kenya et la Tunisie. Quelques jours avant le Sommet, le Président Paul Kagame du Rwanda, pays hôte du Sommet a eu une visite de deux jours au Maroc et a été décoré avec la plus haute distinction d’honneur du Maroc. De même, la Zambie a envoyé son ministre des Affaires étrangères à Casablanca où il a annoncé la décision de son pays d’annuler la reconnaissance de la République Arabe Sahraouie Démocratique.
Au cours du Sommet de l’UA à Kigali, le Roi du Maroc a envoyé une lettre officielle au Président de l’Assemblée de l’Union Africaine indiquant que le Maroc souhaiterait revenir à l’UA. Le Président en exercice de l’UA, le Tchadien Idriss Deby aurait refusé d’inscrire ladite lettre à l’ordre du jour du Sommet. Au cours de la deuxième journée du Sommet, les délégués ont vu circulée une motion demandant la suspension de la République Arabe Sahraouie Démocratique de l’UA. La motion, qui aurait été approuvée par 28 États a été catalysée par le Président du Gabon Ali Bongo avec le soutien d’autres alliés tels que le président Macky Sall du Sénégal. La motion n’a cependant pas pu être présentée.
L’entrée du Maroc à l’Union Africaine Pourrait être Positif
Le Maroc, membre fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avait claquée la porte y a 32 ans suite à l’admission de la RASD comme Etat membre de l’Union. Au cours des années 2000s, l’OUA a été transformée pour devenir l’Union Africaine avec un nouveau traité ; l’Acte Constitutif de l’Union et des objectifs renforcés. Sur le plan juridique, l’UA donc est une nouvelle organisation et tous ses 54 membres actuels ont souscris à ses visions et principes fondamentaux en ratifiant le nouvel Acte Constitutif. Pour le Maroc il s’agira donc d’une adhesion, pas d’un retour…
Je n’ai pas vu le contenu de la requête du Maroc mais une telle demande implique forcement l’acceptation sans réserve par le Maroc des principes de base de l’organisation. Le Maroc devra alors cohabiter avec tous les membres de l’UA, y compris la RASD. Ceci ouvrerait aussi la porte à une résolution pacifique et acceptable du conflit du Sahara Occidental. L’UA pourra alors regagner de l’influence pour faciliter le processus.
Des Avantages en Matière de Paix et de Sécurité : L’entrée de Maroc dans l’Union Africaine pourra augmenter les chances d’une solution africaine aux crises dans la région du Maghreb, le Maroc étant un acteur majeur en matière de sécurité en Afrique du Nord et un leader dans la lutte contre l’extrémisme et le sécularisme islamique. L’Union du Maghreb Arabe (UMA) a été la Communauté Economique Régionale la moins fonctionnelle. L’engagement du Maroc ou de l’UMA dans les opérations de soutien à la paix de la Force africaine en attente pourrait augmenter sa capacité de façon significative. La lutte contre le terrorisme a été l’un des défis les plus importants pour lesquels le Maroc pourra être un allié sérieux s’il devient membre de l’Union.
Un Gain Economique Majeur: la réussite économique du Maroc serait un sérieux atout pour le programme d’intégration économique de l’Union africaine et des programmes spécifiques tels que l’Agenda 2063.
Une avancée Historique: Le retour à L’Union Africaine d’un Etat clé de l’histoire du panafricanisme projetterait une image positive du continent.
Un Retour «Forcé» du Maroc Pourrait Dangereusement Diviser l’Union Africaine
Dans une récente interview, le Président Macky Sall du Sénégal soutenant le retour du Maroc a déclaré: «Le Maroc a décidé de revenir et a demandé que la légalité constitutionnelle internationale soit respectée, conformément aux principes de l’ONU où le Sahara Occidental n’est pas représenté comme Etat indépendant ”, se référant ainsi à la récente tentative avortée de 28 pays pour suspendre la République Arabe Sahraouie Démocratique de l’UA par une motion. Le Président Hery Rajaonarimampianina de Madagascar a également salué la décision du Maroc et a promis de tout faire pour que ce retour légitime se concretise dès le plus vite possible.
Le Maroc multiplie des actions en faveurs des Etats membres de l’Union à travers la création et le renforcement de liens diplomatiques et économiques. Le Maroc élargis son cercle traditionnel d’amis (Afrique de l’Ouest) à d’autres régions du continent notamment avec le renforcement récent des relations diplomatiques avec le Rwanda, l’Ouganda et la Zambie. L’élargissement de ce cercle constitue à n’en pas douter une menace réelle pour la RASD. L’Union Africaine prend normalement ses décisions par consensus mais il est peu probable d’avoir ce consensus sur la question de maintenir la RASD ou non au sein de l’Union Africaine. Même une majorité simple sera difficile à obtenir dans la configuration actuelle. D’ailleurs, il n’existe aujourd’hui aucun mécanisme permettant d’expulser un Etat membre de l’Union Africaine en dehors du cas de suspension pour non-paiement de cotisations ou en cas de coup d’Etat.
Les Etats super-influents comme l’Afrique du Sud, l’Algérie et le Nigeria sont loin de laisser passer une motion d’expulsion ou de suspension de la RASD de l’Union Africaine. Même au pire des cas, une action dans ce sens remettra en cause le sacro-saint principe du droit à l’autodétermination, un des principes fondateurs de l’OUA. L’Union Africaine en sortirait profondément affaiblie et devisée.
Le Maroc pourrait également utiliser une stratégie différente qui serait de faire entrée soft dans l’Union Africaine en acceptant la position actuelle de l’organisation sur le Sahara Occidental, mais continuer la bataille contre la RASD au sein de l’Union avec le soutien des alliés. Cela me semble être le scénario le plus probable mais aussi le plus facile pour intégrer l’Union … Mais le Maroc et ses alliés réussiront- ils à bouter la SADR dehors? Telle est la question…
Il est important de souligner ici que l’Afrique a beaucoup plus a gagner d’un règlement pacifique du conflit Sahraoui sur la base des principes fondateurs de l’Union Africaine, des droits fondamentaux de l’homme et du droit international.