L’Union Africaine Suspend le Soudan: Quelles en sont les Conséquences ?

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En réponse à la répression sanglante le Lundi 3 Juin 2019, du sit-in des manifestants civils soudanais,  qui exigent des  militaires au pouvoir depuis la chute d’Omar Bashir , un gouvernement civil et démocratique, le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine a sorti ses muscles.

La 854eme Session du Conseil  a décidé, «conformément aux instruments pertinents de l’Union Africaine, en particulier l’Acte Constitutif de l’Union, le Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité et la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, de suspendre, avec effet immédiat, la participation de la République du Soudan à toutes les activités de l’UA, jusqu’à la mise en place effective d’une Autorité de transition sous conduite civile, seule voie à même de permettre au Soudan de sortir de la crise actuelle». C’est une décision sans appel, claire et non équivoque qui suscite quand même quelques questions juridiques, politiques et de clarification. Je vais en aborder quelques-unes dans ce blog.

AfricanUnionHeadquarters

Je rappelle que les affirmations de ce blog sont purement personnelles et n’engagent pas mes employeurs actuel ou passés.

 Quelles sont les implications directes de la suspension d’un Etat membre des Activités de l’Union Africaine ?

Les textes évoqués par le Conseil de Paix et de Sécurité dans ses différentes sessions  sur la situation au Soudan n’ont pas donnés tous les détails  sur les conséquences d’une suspension d’un état membre.

Sur le plan politique Il faut reconnaitre que la suspension du  Soudan affaiblit la légitimité internationale, déjà fragile du Conseil militaire de transition au pouvoir. L’Union Africaine a un poids politique incontestable dont la décision influencerait certainement des partenaires  internationaux du Soudan.  Aucun régime politique ne voudrait être dans une situation de suspension d’une organisation de 55 états membres, la plus importante institution pan Africaine sur le continent. En outre, les violations odieuses des droits de l’homme qui ont conduit à cette suspension, notamment le viol présumé de femmes et de filles, ont rendu la situation encore plus sombre. Les Nations Unies ont également condamné le recours excessif à la force par les forces de sécurité à l’encontre de civils et ont appelé à une enquête indépendante.

Dans la pratique la suspension d’un état aux activités de l’Union implique que les représentants dudit état  ne seront plus invités  aux activités des organes de l’Union jusqu’à la levée de la suspension. Ils perdent naturellement  leurs droits de vote. L’état en question ne pourra pas non plus abriter de réunions des organes de l’Union. Tous les organes et programmes sont concernés.  Ses représentants élus dans les comités et groupes de travail n’y auront plus accès comme membres.  Il n’est cependant pas clair si les représentants de l’état suspendu peuvent être  autorisés  à siéger dans les séances non-fermées  comme observateurs et sans droit de vote. A mon avis si la séance admet des observateurs (non-états membres de l’UA), un représentant d’un état suspendu devrait pouvoir y assister sans avoir droit à la parole et au vote. Il faut quand-même préciser que la suspension d’un état des activités de l’Union n’arrête pas  l’appartenance de cet état  à l’Union Africaine. En conséquence l’état suspendu doit continuer d’honorer ses obligations vis-à-vis de l’Union telles que les cotisations au budget de l’Union. D’ailleurs c’est dans cet esprit que l’Union Africaine continuera d’accompagner le processus de normalisation en collaboration avec la Communauté économique régionale géographiquement concernée. Dans le cas d’espèce, c’est l’IGAD (Intergovernmental Authority on Development) dont fait partie le Djibouti, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan, le Sud Soudan et  l’Ouganda.

Quels en sont les effets sur les citoyens de l’état suspendu ?  La Déclaration de Lomé de Juillet 2000 sur les changements inconstitutionnels de gouvernement suggère qu’il  faut veiller à ce que les citoyens ordinaires du pays concerné ne souffrent pas de manière disproportionnée du fait de l’application de sanctions aux tenants du pouvoir. Néanmoins dans la pratique l’impact de la suspension sur les citoyens est inévitable surtout si la suspension dure dans le temps.  Par exemple la Centrafrique avait été suspendue pendant trois ans, mais j’imagine que ce qui importe le plus ici pour les citoyens soudanais c’est le soutien politique et moral que représente la décision du Conseil par rapport à leur droit légitime à l’avènement d’un état démocratique.  Le Conseil a notamment réaffirmé « la solidarité continue de l’Union Africaine avec le peuple soudanais dans ses aspirations à un cadre constitutionnel et à des institutions pouvant permettre à leur pays de connaitre des avancées dans ses efforts sur la voie de la transformation démocratique »

Pourquoi la suspension du Soudan n’as pas été automatique aussitôt après le coup d’Etat comme dans d’autres cas dans le passé ?

Le Conseil de Paix et de Sécurité semble utiliser ce mécanisme au cas par cas  pour plusieurs raisons. La plus importante est que  le mécanisme de la Déclaration de Lomé et les autres instruments cités par le Conseil  avaient été rédigés dans un contexte de coups d’état classiques ou on ne connaissait pas tellement de soulèvements  populaires et les révolutions de la rue qui ont lieu de nos jours. Il est aussi vrai que l’espace démocratique s’est largement étendu en Afrique…  Il y a donc un problème de caractérisation des faits face à la  situation du Soudan aujourd’hui, mais aussi à celle de l’Egypte par le passé, de l’Algérie, du Zimbabwe etc. Il importe que l’Union Africaine se penche sur la définition du cadre d’intervention en cas de soulèvement populaire. Dans le cas du Soudan par exemple, le Conseil a  visiblement tenté de donner une chance aux militaires pour parvenir rapidement à un accord avec les civils, mais les évènements sanglants de cette semaine et l’absence de progrès dans les discussions ont fait changer la donne.

ETHIOPIA-ADDIS ABABA-18TH AU SUMMIT

Au-delà de la suspension du Soudan… le jeu des alliances avec ou sans l’Afrique.

D’aucuns se demandent si la suspension du Soudan des activités de l’Union Africaine est suffisante pour  faire courber les militaires au pouvoir.  Il faut déjà reconnaitre que le langage et la position du Conseil dans le cas soudanais est l’un des plus fermes de l’histoire. En plus, le Conseil menace qu’au cas où les militaires ne transféreront pas sans plus tarder, le pouvoir à une Autorité de transition sous conduite civile, le Conseil imposera automatiquement des mesures punitives aux personnes et entités faisant obstacle à la mise en place de l’Autorité de transition sous conduite civile. A l’ère où tout se mondialise y compris la justice et la redevabilité surtout en matière de droits de l’homme  personne ne veut prendre le risque  de faire face à ces éventualités.

Cependant, la tâche ne semble pas être si simple  dans une situation ou d’autres alliés du Soudan dans le continent et en dehors du continent  ne semblent pas aller dans la même direction que l’Union Africaine.  Il n’est donc pas étonnant de voir que dans son Communiqué, le Conseil de Paix et de Sécurité dans un langage fort a souligné, « la primauté des initiatives entreprises par les pays africains dans la recherche d’une solution durable à la crise au Soudan et a réitéré  son appel à tous les partenaires pour qu’ils soutiennent les efforts de l’UA et de l’IGAD et s’abstiennent de toute action susceptible de compromettre les initiatives entreprises par l’Afrique ».

Même si le Conseil de Sécurité des Nations Unies n’a pas pu s’entendre sur un texte commun et la conduite à tenir, une grande partie de la communauté internationale semble être alignée sur la position de l’Union Africaine. L’Union Africaine a en effet du potentiel et un poids politique assez important à ne pas négliger pour résolution du problème soudanais et bien d’autres sur le continent.

J’ai espoir que la raison prévaudra entre les parties prenantes soudanaises.  L’Afrique que nous voulons en dépens.

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